Droits de l’enfant au Tchad : Les causes du blocage
Depuis
la ratification le 02 octobre 1990 de la Convention sur les Droits de
l’enfant (CDE) et plus tard de la Charte africaine sur les droits de
l’enfant (CADE), les droits de l’Enfant ont connu une légère
progression significative, même s’ils sont souvent mal compris ou mal
interprétés.
Le degré de protection de l’enfant est fonction des traditions et des
valeurs culturelles qui, la plupart du temps, encouragent la violation
des droits de l’enfant et la discrimination entre les sexes. L’absence
d’un Code de personne et de la famille perpétuera cette situation dans
la mesure où l’article 156 de la Constitution de la République dispose
que “jusqu’à leur codification, les règles coutumières et
traditionnelles ne s’appliquent dans les communautés où elles sont
reconnues”. L’alinéa 2 du même article précise que “toutefois, les
coutumes contraires à l’ordre public ou celles qui prônent l’inégalité
entre les citoyens sont interdites”. La difficulté, c’est celle
d’apprécier ce qui est contraire à l’ordre public de ce qui ne l’est
pas. Car ce qui est interdit dans une communauté peut être vénéré dans
une autre. Les efforts faits pour respecter et réaliser les droits des
enfants sont souvent sapés par les règles coutumières. Quelques
exemples pratiques aideraient à mieux comprendre.
La difficulté d’harmonisation
Pour des raisons de santé, l’âge requis au premier mariage pour la
fille doit être relevé. Or, nous avons relevé pendant les journées
d’information sur les réformes législatives en faveur des enfants que
la question de l’interdiction du mariage précoce soulève des débats
très houleux en raison de la forte influence des coutumes. Au regard de
la CDE, l’enfant est tout être humain âgé de moins de 18 ans.
Cependant, l’âge de la majorité au Tchad est encore apprécié
différemment selon les textes. En application du Code Civil de 1958 en
vigueur au Tchad, la majorité civile est atteinte à 21 ans et l’âge
légal au mariage est fixé à 15 ans pour la fille et 18 ans pour le
garçon. Du point de vue coutumier, cet âge au mariage est implicitement
fixé à 13 ans en vertu de l’article 277 du Code pénal qui dispose que
“la consommation d’un mariage coutumier avant que la fille n’ait
atteint l’âge de treize ans est assimilé au viol et punie comme telle.”
Le code électoral fixe la majorité électorale à 18 ans, l’âge minimum
légal d’admission à l’emploi est de 14 ans conformément au Code du
Travail. Cette disparité se traduit par les nombreuses violations des
droits de l’enfant. L’harmonisation de l’âge de l’enfant permettra de
corriger la disparité de l’âge observée dans les textes en vigueur.
Dans les familles nombreuses l’on considère comme socialement
acceptable le fait d’envoyer les enfants travailler loin de la famille.
Des attestations signées des parents et employeurs sont délivrées.
Quelquefois, ces attestations sont contresignées par des autorités
administratives ou mieux encore ces autorités ont eu à délivrer des
certificats d’adoption contrairement aux textes en vigueur. Tous ces
comportements constituent bien un blocus à la politique de lutte contre
les pires formes de travail et la traite des enfants.
L’environnement législatif
Le processus d’harmonisation des textes nationaux avec les instruments
juridiques internationaux déclenché depuis 2001 avance difficilement.
La plupart des textes élaborés et adoptés sont restés au stade
d’avant-projets. Et les rares textes adoptés ne sont pas suffisamment
vulgarisés et sont quelquefois méconnus par ceux-là mêmes qui sont
chargés de les appliquer. Dans certains cas, la mauvaise conduite du
processus d’élaboration du texte de loi rend difficile son application
une fois que la loi est adoptée. C’est le cas de la loi N°06/PR/2002 du
15 avril, portant promotion de la santé de reproduction qui interdit le
mariage précoce, les mutilation génitales féminines sans prévoir la
répression en renvoyant d’une manière vague aux dispositions du Code
Pénal. La loi pénale étant d’interprétation strict, le juge ne peut
prendre cette responsabilité d’inventer une peine sous peine de tomber
sous le coup de l’article 1er du Code pénal. La législation concernant
les droits de l’enfant est restée fragmentée en différentes lois. La
minorité d’une victime ne constitue que des circonstances aggravantes
pour l’auteur. Notre code pénal datant en outre de 1967 est devenu
obsolète face aux nombreux phénomènes avilissants dont font l’objet les
enfants. A cette faiblesse de la législation s’ajoutent d’autres
facteurs de blocage tels que : l’absence des magistrats spécialisés
dans le domaine de la protection des enfants, l’ignorance et la
méconnaissance des textes protégeant les enfants, l’insuffisance de
formation des acteurs chargés de la protection.
L’insuffisance des ressources financières
En parcourant le budget général de l’Etat, il est aisé de constater que très peu de ressources sont allouées aux rares structures ayant en charge la question de l’Enfant. 18 ans après la ratification de la CDE et des autres instruments juridiques internationaux de protection de l’enfant, les efforts accomplis sont loin de satisfaire les différentes composantes pouvant garantir un environnement protecteur aux enfants. Si l’engagement politique est sans équivoque, le rôle de l’Etat doit être précisé pour éviter les confusions. Le processus d’harmonisation doit être conduit à son terme pour permettre de valoriser les attitudes, traditions et coutumes protectrices des enfants. Extrait de la communication de Irène Orthom.