L’égoïsme des petits dieu
À propos du mépris d’une certaine classe politique pour sa jeunesse militante
L’intitulé
de cette communication, prononcée à l’occasion d’un colloque en janvier
2009 à Orléans, est assez salé, voire d’une amère violence, j’en
conviens volontiers. Mais il ne fait qu’exprimer mon profond sentiment
face à ce qui est annoncé en sous-titre. Le lecteur aura donc déjà
compris que ce je voudrais exposer ici, ce n’est pas tant un plaidoyer pour
la reconnaissance d’une jeunesse militante longtemps méprisée, mais c’est surtout
un réquisitoire contre une
certaine classe politique manifestement bornée, irrémédiablement rongée
par l’individualisme et la recherche égoïstement effrénée d’un niveau
hiérarchique prétendument convoité, de l’illusion d’une immortelle
renommée. Parler des rapports d’une « certaine classe politique » et
de « sa jeunesse militante », impose donc de situer le contexte. Ce qui n’est pas difficile, vous l’aurez compris sans doute.
La classe politique
méprisante
et égoïste dont il est ici question, c’est l’ensemble des structures
politiques, partis et mouvements politico-armés contemporains qui
détiennent actuellement le pouvoir et l’exercent ou qui aspirent à
conquérir le pouvoir pour l’exercer à leur tour prochainement. Cette
classe politique est essentiellement composée des « enfants du
Frolinat » et des « enfants des adversaires du Frolinat ». Il s’agit donc de la deuxième génération d’hommes politiques tchadiens (1982-2008) ; la première génération (Tombalbaye, Koulamallah, Sahoulba, Nassour, Tchéré, Kotoko, Kheralla, Ngaba),
altruiste, généreuse et reconnaissante, étant selon moi celle des
années pré et post-Indépendances (1958-1979) qui n’a posé aucun frein
aux ambitions politiques de sa jeunesse. Il y a une génération
intermédiaire, qui a fait partie de la première génération et qui fait
actuellement partie de la deuxième génération. Celle-là n’est pas la
plus nombreuse (A. Kamougué, B. Alingué, Lol M. Choua,
A. Lamana),
mais ce fait ne l’exempte pas de reproches, car certains de ses membres
se sont comportés exactement comme leurs congénères contemporains.
Cette génération est donc aussi méprisante et égoïste que ses cadets
envers sa jeunesse militante, la troisième génération selon moi. Le contexte ainsi défini, je vais vous dire maintenant quelles sont les raisons qui me poussent à une telle affirmation en procédant
à une brève anatomie de la classe politique dans cet ordre : la
nouvelle Union des forces de la Résistance (UFR), les partis politiques
de l’opposition et le régime au pouvoir.
L’Union des Forces de la Résistance
(UFR) : une drôle de façon d’encourager une jeunesse cyber-combattante et en battle
dress. Les exemples sont parfois plus parlants qu’un exposé théorique. Alors, connaissez-vous sans doute Mahamat Assileck Halata, l’inaltérable chargé de la communication de l’UFDD France et Europe. Connaissez-vous également Houlé Djonkamla, idéologue incontesté de l’UFCD, ainsi que Félix Ngoussou, Représentant
du RFC aux USA. Ces hommes, qui ne sauraient être de la deuxième
génération d’hommes politiques contemporains, parce que nettement plus
jeunes, ne contribuent pas moins de façon active aux activités
politico-armées des dirigeants de la rébellion qui, eux, appartiennent
tous à cette deuxième génération égoïste et méprisante.
En quoi ces exemples justifient-ils mon propos ? Et bien, vous l’avez
sans doute remarqué, l’UFR a rendu public la composition de son bureau
exécutif où, excusez du terme, ne figurent que les mêmes dinosaures qui
appartiennent à la même génération, à l’exception d’Abakar Tollimi.
Mais il faut souligner que ce dernier est dirigeant d’une force armée
importante qui était venue renforcer les rangs de l’UFDD. Sa
désignation au Bureau exécutif s’imposait sans discussion, sachant que
le général Mahamat Nouri a préféré occuper le siège de « personnalité ressource » de l’UFR.
Fidèles
au grossier trait qui les caractérise et aveuglés, comme toujours, par
la recherche de leurs propres intérêts, les dirigeants de la nouvelle
union n’ont pas eu le moindre égard pour cette jeunesse dont
l’implication aux côtés de la rébellion n’est plus à démontrer. Les
soldats de la résistance sont essentiellement des jeunes qui partagent
les convictions des aînés et acceptent de mourir pour que leur pays
soit libéré des mains assassines. D’autres jeunes expriment autrement
leur activisme : Makaila, Abdelmanane, Bourma, Valentin Homadji,
Mahamat Saleh, Chidi, Galmaye, Khirachi, Adoum, Souleymane, Abakar, et
bien d’autres anonymes, etc., N’ont-ils pas le droit d’avoir des
ambitions politiques nationales ? Si la réponse est oui, alors, ce
n’est pas en les ignorant qu’on fera d’eux des hommes politiques de
demain.
Je
suis conscient que l’heure n’est pas à la chicane et que le Bureau
exécutif de l’UFR n’est pas un gouvernement où chacun doit y être
nommé. Néanmoins, comme les dirigeants de l’UFR ne se sont pas privés
de faire recours à cette jeunesse pour combattre et faire la propagande
sur internet dans leur intérêt, la moindre des récompenses c’est de
commencer à témoigner à cette jeunesse de la reconnaissance en
désignant, parmi les militants, au moins une personne à laquelle elle
pourra s’identifier. Après l’élection d’Obama à la tête des USA, vous
avez sous doute entendu à la radio ou vu à la télé des Noirs, émus,
dire : « moi aussi, je peux maintenant espérer que mon enfant devienne un jour président des USA ». Que feraient 99% de ces Noirs à la prochaine élection ? Je vous laisse deviner à qui ils donneront leur vote à
la prochaine présidentielle. La reconnaissance est le moteur du progrès.
L’opposition
démocratique : des roitelets sans cour ni jeunesse militante.
Dans une interview, qui date de 2007, le général Kamougué s’étonnait du
fait que les jeunes désertent les partis politiques au profit des
associations de défense des droits de l’Homme. Il disait déplorer cette
situation et espère que de bonnes âmes soient intéressées pour
reprendre un jour la direction de l’URD, son parti politique. Il faut
dire qu’à 70 ans révolus, le général Kamougué va être de moins en moins
apte à diriger son parti et l’on se demande même s’il va se présenter à
la présidentielle de 2011. Ce qui est étonnant, c’est qu’à l’arrivée de
Déby au pouvoir, l’homme n’avait que 50 ans et des poussières et il
avait déjà créé son parti, sans que l’on sache aujourd’hui qui en est
le second, encore moins le porte-parole. C’est aussi le cas d’Alingué
Bawoyeu (+72 ans), de Lol Mahamat Choua (+70 ans) de Lamana Abdoulaye
(72 ans), de Lossomian (+72 ans) qui ont créé leurs partis politiques
au début des années 1990. Avez-vous déjà entendu une jeune personne
(25-35 ans) parler au nom des partis de ces dinosaures ou même être
désignée comme préfet, sous-préfet ou simplement comme candidats aux
législatives passées ?
À
l’annonce de l’entrée de la CPDC au gouvernement en mai 2008, on avait
cru qu’ils allaient y envoyer des jeunes cadres de leurs partis
politiques. Hélas, sous prétexte que la jeunesse a déserté leurs
mouvements, les dinosaures se sont précipités en personne pour se
mettre au service de leur bourreau. Malgré le poids de l’âge, ces
hommes s’accrochent au pouvoir comme à une bouée de sauvetage contre
l’irrésistible progression de la Faucheuse. Une attitude forgée en
réalité de longue date par l’égoïsme, l’égocentrisme et le manque de
considération pour les plus jeunes. Dans 10 ans, quel jeune militant
voudra reprendre la direction de l’UDR, l’URD, le RDP ou encore l’UN ?
Le régime
autocratique du MPS : cachez ces jeunes, qu’on ne saurait
voir. Il
y a un paradoxe assez révoltant à entendre les discours démagogiques de
Déby à l’endroit de la jeunesse et de constater que pas un seul jeune
de la tranche 25-35 ans, (donc né après 1970) ne fait partie de la
direction politique du MPS ou même occuper un poste de maire d’une
grande ville, d’une commune de N’Djamena, un poste de conseiller aux
représentations nationales à l’étranger. Investi et infesté par les
éléments de la génération égoïste et méprisante, celle de l’après 1982,
que Hissein Habré a pourtant portés sur les fonts baptismaux de la
politique alors qu’ils étaient encore jeunes, le régime de N’Djamena
déploie tous les moyens pour camoufler l’existence de la jeunesse qui
milite en son sein. Mahamat Hissein s’était illustré par sa politique
d’exclusion de la jeunesse des instances du parti. Ses prédécesseurs
ainsi que son successeur n’ont eu guère d’égards envers la jeunesse du
parti, préférant les confiner à des tâches peu gratifiantes pour mieux
s’assurer leur fidélité tout en leur miroitant des lendemains
meilleurs. Mais ces lendemains arriveront-ils un jours pour cette troisième génération ?
Après sa nomination au poste de Premier ministre, Youssouf Saleh Abbas,
prétendument ouvert d’esprit, a appelé à son cabinet une équipe dont
l’âge moyen est de 55 ans. Pas un seul membre de son cabinet n’a moins
de 48 ans ; le plus âgé ayant 70 ans. Pourquoi le PM se méfie-t-il à ce
point des jeunes collaborateurs ?
Certains s’empresseront de me rétorquer : « Yaya Dillo, n’est-il pas jeune ? Mahamat Nour Abdelkérim, n’est-il pas jeune ? » ou encore « tous ces jeunes que l’on voit à la présidence, aux directions des ministères…, pourquoi tu les passes sous
silence ? ».
Mais tout comme je l’ai déjà indiqué pour Abakar Tollimi, il ne faut
pas confondre la situation de ceux qui se sont imposés par une démarche
politique particulière de celle de ceux qui partagent les convictions
des leaders politiques et se battent à leurs côtés pour atteindre un
objectif mais qui sont jetés après avoir été pressés tels des citrons.
Bref,
il est un constat indéniable qu’une certaine génération politique qui
se veut élitiste adopte une attitude à la fois esclavagiste et égoïste
envers sa jeunesse militante. Il faut le dire sans langue de bois, ces
hommes politiques se comportent ainsi de façon consciente et délibérée
pour s’assurer une place et une longévité en politique. Moins on verra
des jeunes personnes occuper des postes importants dans les instances
dirigeantes, moins ils auront de la visibilité et mieux les élans
ambitieux seront jugulés et étouffés. Mais alors pourquoi s’étonner
face à la multiplication des structures politiques dans notre pays ?
Une personne qui estime avoir des ambitions non reconnues dans son
groupe cherchera toujours à les réaliser d’une manière ou d’une autre.
D’où la prolifération des partis politiques et mouvements
politico-armés par création directe ou par scissions. Aussi, Dès lors,
pour ordonner la cité, quelle qu’elle soit afin de la rendre plus
solide, plus durable, importe-t-il de témoigner de la reconnaissant aux
membres quel que soit leur âge. Le droit d’aînesse n’est pas un
principe valable en politique.
Lyadish Ahmed
Orléans, le 7 février 2008
*Communication prononcée au colloque « Héritage et expérimentation en politique dans les pays d’Afrique francophone » organisé par l’ONG Démocratie Effective le 31 janvier 2009 à Orléans.