TCHAD: Agir contre les violences faites aux femmes, mais avec quelles armes ?
GUELENDENG/N’DJAMENA, 2 avril 2009 (IRIN) - La mort d’Awa, assassinée
par son mari en novembre dernier à Guelendeng, a été « une de trop »
pour les femmes de cette localité située à 150 kilomètres au sud de
N’djamena, la capitale tchadienne. Révoltées par les violences que
certaines d’entre elles subissent au quotidien, ces femmes ont décidé
de se battre pour faire valoir leurs droits, mais elles se heurtent à
de nombreux obstacles.
Le 20 décembre, des dizaines de femmes ont participé à une marche,
la première du genre dans cette localité, pour dénoncer les atteintes à
leurs droits et interpeller l’Etat sur son rôle, face à l’impunité dont
jouissent la grande majorité des auteurs de violences. Meurtres,
passages à tabac, mariages précoces,
violences sexuelles, la liste des atteintes aux droits des femmes est
longue. « Avec tous les cas constatés, on ne pouvait plus rester les
bras croisés. Ces violences sont tellement répandues qu’elles
deviennent même un sujet de causerie chez les hommes », a dit à IRIN
Catherine Ndaokaï, chargée de l’information et de la sensibilisation
pour le Comité de suivi des violences faites aux femmes.
L’initiative de la marche a valu des menaces à plusieurs participantes,
a raconté Martine Klah, présidente de ce comité, créé au lendemain de
la marche « pour que le mouvement ne s’arrête pas là ». Dans une région
où la tradition fait de l’homme un « être dominant », « des hommes nous
ont dit qu’ils allaient nous assassiner, une par une, pour avoir fait
ça », a-t-elle dit.
Malgré les pressions, les femmes de Guelendeng sont pourtant bien
décidées à poursuivre la lutte. Mais elles se sentent souvent désarmées
pour agir. Elles sont d’abord confrontées aux pesanteurs culturelles. «
La femme est en bas de l’échelle [sociale], elle est considérée comme
un bien », a noté Delphine Kemneloum Djiraibe, coordinatrice nationale
du Comité de suivi de l’appel à la paix et à la réconciliation
nationale au Tchad. « Une femme, on en fait ce qu’on veut ».
Le contexte de violence généralisée qui prévaut dans ce pays, confronté
à des attaques de groupes armés et à l’instabilité depuis des
décennies, a aussi certainement exacerbé les violences contre les
femmes, ont noté plusieurs défenseurs des droits humains. « Les hommes
disent que les femmes sont à l’origine de ces [violences], mais au
temps de nos grands-parents, on n’assassinait pas », a dit Mme Ndaokaï.
« Même si une femme était prise en flagrant délit [de faute], on la
renvoyait, c’est tout ».
Vide juridique et impunité
Les femmes de Guelendeng ont aussi dit manquer d’information pour
orienter les victimes en cas d’abus. « Nous ne connaissons pas les
textes [de loi] de base pour la défense des droits des femmes », a
expliqué Mme Klah. Des lois ont bien été votées au cours des dernières
années, entre autres sur la santé de la reproduction, mais les décrets
d’application n’ont jamais été publiés. Un projet de Code de la
famille, rédigé depuis plusieurs années, attend toujours d’être examiné
au Parlement, un retard que des défenseurs des droits humains
attribuent à des « conservateurs » craignant que cette loi ne donne «
trop de pouvoir aux femmes ».
En attendant, « les juristes essaient d’utiliser les textes du Code
pénal déjà existants, comme celui relatif aux ‘coups et blessures’ », a
dit à IRIN Lydie Asngar Mbaiassem Latoï, directrice de la Promotion de
la femme et de l’intégration du genre au ministère de l’Action sociale.
Mais cela est largement insuffisant : ce vide juridique et le climat
d’impunité qui prévaut font que les auteurs de violences ne sont
presque jamais poursuivis – et les hommes le savent, ce qui encourage
la perpétuation de ces actes, a regretté Larlem Marie, présidente de
l’Association pour la promotion des libertés fondamentales au Tchad
(APLFT).
« Récemment, un homme qui voulait s’attaquer à sa femme lui a dit qu’il
pouvait la tuer parce que de toute façon il ne lui arriverait rien : il
a cité le cas d’un mari qui avait assassiné sa femme mais n’avait pas
été inquiété », a-t-elle dit à IRIN. « C’est l’impunité qui fait le lit
des violences », a renchéri Mme Djiraibe. Les femmes renoncent donc
souvent à porter plainte, terrorisées à l’idée de faire l’objet de
représailles. Car même si elles décident de réclamer justice, elles
n’ont aucun lieu où se réfugier pour échapper à leurs agresseurs
puisqu’il n’existe pas de structures d’accueil pour les femmes victimes
de violences, notamment domestiques, a dit Mme Djiraibe.
« C’est vraiment un blocage parce que même si les femmes obtiennent une
assistance judiciaire, elles ne savent pas où aller se mettre à l’abri
», a-t-elle dit. « Il y a une résistance de l’opinion qui pense [qu’en
créant ces structures], on encourage les femmes à quitter leur foyer.
Donc il n’y a pas d’alternative [au foyer conjugal], si elles [portent
plainte], elles vont se retrouver dans la rue ».
Une violence largement répandue
Si les femmes de Guelendeng ont pris l’initiative de dénoncer les
violences qu’elles subissent, de très nombreuses autres souffrent en
silence : les organisations humanitaires et de défense des droits
humains signalent des cas partout dans le pays, mais en l’absence
d’études, il est très difficile d’en mesurer l’ampleur.
A l’exception de l’est du Tchad, où la large présence des organisations
humanitaires liée à l’afflux de réfugiés et personnes déplacées a
permis de mener une enquête rapide révélant une prévalence des
violences sexuelles de l’ordre de 15 à 20 pour cent, selon le Fonds des
Nations Unies pour la population (UNFPA), il n’y a pas de données
disponibles dans le reste du pays.
Pour y remédier, le ministère de l’Action sociale a prévu de lancer une
enquête cette année, avec le soutien de l’UNFPA, a précisé Mme
Mbaiassem Latoï. D’autre part, le ministère et l’UNFPA travaillent
actuellement à la mise en place d’un numéro d’appel gratuit, relié à la
police, qui permettrait aux victimes d’être orientées pour obtenir une
assistance, à la fois judiciaire et médicale. Et cela est urgent, ont
estimé plusieurs acteurs humanitaires, entre autres dans le cas des
très jeunes filles. « Le sentiment d’urgence n’est pas présent, alors
qu’on est face à un niveau de violence en hausse et à une impression
d’insécurité de plus en plus souvent rapportée », a dit Marzio Babille,
représentant du Fonds des Nations Unies pour l’enfance, l’UNICEF.
Pour parvenir à « porter haut » les droits des femmes, le soutien des
autorités est indispensable, ont plaidé des défenseurs des droits
humains. Sur ce point au moins, les femmes de Guelendeng ont estimé
qu’elles avaient de la chance. « On peut aller voir le préfet [de la
région] en cas de problème, il nous écoute et nous soutient », a dit
l’une d’entre elles.
Gabdibe Passore Ouadjiri Loth, le préfet, est en effet intervenu dans
plusieurs cas et fait le lien avec le ministère de l’Intérieur et la
présidence. « Si un homme ne protège pas sa mère, qui va-t-il protéger
? », a-t-il dit à IRIN, tout en reconnaissant que les « phallocrates »
étaient encore prédominants dans le pays. Malgré tout, « les choses
évoluent lentement, mais sûrement. Tout est en chantier : des lois, des
politiques, … », a affirmé Mme Mbaiassem Latoï, du ministère. « La
crise [économique et sécuritaire] a bouleversé les choses : de
nombreuses femmes sont devenues chefs de ménage et les hommes réalisent
qu’il ne faut pas les négliger », a-t-elle noté. « Le réveil n’est pas
encore total, mais ça va venir. De toute façon, la société civile ne
s’arrêtera pas ».
Source: http://www.irinnews.org/