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ALHOURIYA
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6 avril 2009

Lyadish Ahmed : "Tranches de vie ordinaires dans un Etat néant" Tranches de vie ordinaires dans un Etat néant

Tranches de vie ordinaires dans un Etat néant. Des magistrats qui refusent de regagner leurs postes d’affectation en province, des classes de Terminale sans professeurs de philosophie, un maire de la ville qui déchire une ordonnance de référé émise par la Justice, etc.  Cela se passe au Tchad, « un Etat néant » dit-on de bonne foi. Et cela n’est plus vraiment une révélation. Tour à tour, depuis Largeau, l’inventeur de la notion de « Tchad utile », jusqu’à Nicolas Sarkozy qui avait prouvé à la face du monde qu’il était capable d’aller au Tchad chercher des repris de Justice français, « quoi qu’ils aient fait », en passant par Jacques Chirac avec sa boutade « le Tchad n’est pas un Etat. C’est un territoire délimité par les frontières de ses     voisins », plusieurs autorités et chefs d’Etat français ont déclamé, chacun, leur phrase assassine pour dénier aux Tchadiens le respect dont ils ont pourtant droit comme tout autre peuple souverain. De telles insultes n’ont toutefois pas été relevées dans les années Mitterrand sans doute parce que Hissein Habré, dont le règne coïncida avec le premier mandat du président socialiste, eut le mérite de redonner sa place à notre pays dans le concert des Nations.Sans doute aussi que si le souvenir de cet homme sert de référence constante vingt ans après sa chute, c’est parce qu’en instaurant une discipline de fer dans les administrations et en encourageant la reconstruction du pays par le travail, il a su entourer nos institutions étatiques embryonnaires de tout le respect qui leur était dû tant par les citoyens tchadiens que par les étrangers qui vivent sur notre sol ou qui entretiennent des relations diplomatiques avec notre pays.
Du rang peu flatteur d’ « Etat néant » auquel l’ont relégué les « néocolons », notre pays a retrouvé, dans les années 1980, son statut d’Etat souverain respecté par les puissances internationales et présenté comme un allié sûr des intérêts occidentaux en Afrique.
Mais très vite, de la considération retrouvée de haute lutte, notre pays est de nouveau recalé au rang d’ « Etat néant » du fait de l’arrivée au pouvoir d’une caste de parvenus pour qui, les seules lois dignes de leur respect ce sont les lois qu’ils s’édictent eux-mêmes pour eux-mêmes. Nous en faisons malheureusement chaque jour un amer constat.
 

Tranches de vie ordinaire dans un Etat néant, depuis hier les     internautes peuvent lire sur le site internet de la Présidence du Tchad que « le Conseil Supérieur de la Magistrature, réuni le 1er avril, sous la présidence du Chef de l’Etat Idriss Déby, a planché sur le cas de certains magistrats qui refusent de rejoindre leurs postes d’affectation. Le Conseil a déploré le comportement de ces magistrats ». Il faut reconnaître que c’est quand même incroyable que dans un Etat républicain, pas un seul, mais « des magistrats » affectés en province refusent de rejoindre leurs postes, alors que la continuité du service public de la Justice exige la présence effective et sans délai de ces fonctionnaires aux postes auxquels ils sont nommés et affectés. Mieux, ce que ne dit pas cette dépêche, c’est que ces magistrats qui ont laissé leurs postes vacants, causant ainsi d’énormes préjudices aux justiciables par ce comportement irresponsable et indigne de leur statut, continuent de percevoir leur salaire sans restriction. Mais ce comportement n’est pas propre aux magistrats et moins encore nouveau.
    Depuis 1990, nombreux sont les fonctionnaires qui refusent d’aller travailler en province, ne se rendant au mieux qu’une seule fois par mois pour faire « acte de présence ». C’est le cas des « payeurs » affectés dans les administrations préfectorales qui ne passent jamais plus de deux nuits par mois dans leurs postes d’affectation. C’est aussi le cas de nombreux médecins, infirmiers  et autres enseignants pour qui le « Tchad utile » commence et s’arrête à N’Djamena. D’un côté, les administrations provinciales sont désertes et accusent un manque cruel en personnel. De l’autre côté, les administrations publiques de la capitale sont pléthoriques à cause de ces fonctionnaires impunis qui foulent au pied les lois de la République en jouissant d’une confortable impunité. En réalité, issus de la politique de népotisme à outrance, ces « fonctionnaires » sont tout simplement incapables d’exécuter le moindre travail de façon autonome. C’est l’une des principales raisons qui les retiennent à N’Djamena où ils peuvent se faire aider par un collègue mieux instruit et assez généreux pour faire leur travail à leur place. Autres raisons, plus immorales, c’est que c’est à N’Djamena que le marché de la corruption est plus important et donc, personne ne souhaite aller végéter dans des endroits peu propices à l’épanouissement de la criminalité organisée par les élites de la République.

Cela dit, tranche de vie ordinaire dans un Etat néant c’est aussi le     cas de ces  « élèves des classes de terminale du Lycée Ibrahim Mahamat Itno de Farcha qui ont perturbé hier les cours parce     qu’ils réclament des professeurs de     philosophie ». Vous n’en croyez certainement pas vos oreilles. Mais ce n’est pas une plaisanterie. Il manque réellement des enseignants en philosophie dans les classes de Terminale pour les élèves de la série A4 qui devront passer le fameux Bac philo cette année. Pourtant, ce ne sont pas des candidats à l’enseignement qui manquent à l’appel, (si appel il y a). Les moyens ne manquent pas non plus quand on sait que le ministère de l’Education nationale ne se gêne pas à dépenser + 1 milliard de Fcfa pour la réfection d’un vieil immeuble en ruine au lieu de mettre les moyens dans une construction moderne respectueuse de l’environnement. Nous ne le répéterons jamais assez,  occupés à réfléchir sur les voies et moyens illicites qui leur permettent de détourner toujours un peu plus l’argent de l’Etat à leur profit, les responsables en charge du ministère de l’Education nationale, à l’instar des aigrefins des autres départements, ne s’occupent plus des missions qui leur sont assignées : assurer la formation de ceux qui doivent transmettre le savoir. Qui leur demandera des comptes ? En tout cas, on ne peut rien attendre en ce sens des juges qui refusent d’aller siéger en province ou des députés qui ne savent ni lire ni écrire.
Dans ce néant qu’est le Tchad, le service public sert certes à se servir en public de façon illicite et en toute impunité, mais pas seulement. Très souvent, l’injuste impunité est assortie de la bénédiction présidentielle. C’est cette bénédiction présidentielle dont bénéficie la caste de parvenus qui a contribué à en faire des citoyens au-dessus des lois.  Exemple parlant. Mahamat Zène Bada, maire de la ville de N’Djamena, déchire une ordonnance de référé prise par un magistrat du Tribunal d’Instance de N’Djamena tendant à surseoir à la décision de démolir certains immeubles de construction anarchique en attendant l’authentification des titres de propriétés excipés par les présumés propriétaires. Il envoie ses Bulldozer raser les habitations sans donner la chance aux propriétaires de sortir les meubles. Les magistrats haussent le ton. Sous les conseils du Premier ministre Youssouf Saleh Abbas, le président Idriss Déby fait mine de réunir le Conseil supérieur de la Magistrature. L’instance délibère. Après avoir rappelé que nul n’est au-dessus des lois, Idriss déby décide de trouver une solution pour que ni « Mahamat Zène Bada, ni les magistrats ne perdent la face ». Où a-t-on jamais vu un citoyen déchirer une décision judiciaire et se faire adouber par le Premier magistrat du     pays, garant de la Constitution ? Dans le seul Etat néant au monde qu’est notre pays, depuis bientôt vingt ans, bien sûr !
Tranche de vie ordinaire dans un Etat néant, c'est aussi sous prétexte de faire respecter une décision prise par un tyran, aucune autorité du pays ne s'émeut du passage à tabac d'un Recteur d'une université par une milice zélée. Le néant et le Tchad, c'est du pareil au même.

    Lyadish Ahmed  

    Chroniqueur bénévole à :  

    La Dissidence  

    Presse libre d’investigations et de réflexions politiques sur le Tchad  

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